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Cela fait quelques années que je connais Marie, mon amie qu’on appelle aussi « l’Ource ». La brave copine qui m’aide avec le blog. Pendant ces années, j’ai appris que Marie a malheureusement souffert à cause du décès de ses proches. J’ai aussi constaté que malgré ses souffrances, elle est toujours là pour aider les autres. En septembre 2011, nous avons appris sur Facebook que Jérémie, le fils de Marie, est décédé. Boulversés et choqués, on consolait Marie comme on pouvait. On ne savait pas ce qui était arrivé et pourquoi et comment Jérémie nous avait quittés.
Après presque deux ans et demi, voici Marie qui nous confie une histoire sinistre, le récit de ses découvertes et de ses questions sur les circonstance du décès de Jérémie. Elle m’a donné la permission de le publier. Je sais qu’elle veut écrire un livre et le publier. Voici ce qu’elle m’a écrit aujourd’hui :
Oui je veux publier un livre, et je suis en train de l’écrire. En même temps je fais une action en justice, cela me coûte pas mal d’argent et de temps mais là j’arrive à mes fins… Une enquête est enfin ouverte.
Vous voici les pages que Marie m’a envoyées.
À Maurin, Lise et Vianney.
20 septembre 2012. J’ai froid. Le vent et la bruine qui tombent en cette fin d’après midi me glacent, et je décide d’allumer un feu. Je m’approche de la cheminée, prépare le papier, les brindilles, et des bûches de petites tailles. Enfin je craque l’allumette, l’étincelle jaillit, et bientôt les premières jolies flammes jaunes dansent devant mes yeux. C’est mon premier feu de l’année et je n’éprouve pas cette joie habituelle répétée, pourtant, d’années en années. C’était avant… L’enthousiasme qui m’habitait les années précédentes n’est pas là. C’est un geste qui doit être fait mais le plaisir d’entendre le bois crépiter n’existe pas, comme par le passé. En regardant ce feu, les souvenirs et les larmes m’envahissent.
C’était il y a un an, le 20 septembre 2011. J’étais déjà là devant ma cheminée, il n’y avait pas de feu. Il faisait beau. Je revenais du funérarium de CHATILLON SUR SEINE. Je venais de me recueillir devant le cercueil de mon fils, Jérémie, renversé par un camion. Je n’ai pas vu mon fils on m’a refusé cette possibilité. L’équipe des pompes funèbres m’a remis à ma demande les vêtements de mon fils. A cet instant de fin d’après midi 2011, me croyant seule j’ai ouvert le sac poubelle où, ont été mis en vrac les habits que Jérémie portait lors de l’accident. Je casse la ficelle rouge qui ferme le sac j’en sors sa paire de baskets et son pantalon noir. Je les hume pour retrouver son odeur,son parfum. Je les regarde sous toutes les coutures, et je m’aperçois qu’ils n’ont aucune dégradation, ni éraflure, ni déchirure, ni trou, même pas la moindre trace d’un frottement. On dirait des effets sortis du placard, même si le pantalon est chiffonné puisqu’il a été mis en vrac dans ce sac poubelle. Puis je vois que dans ce sac il y a un autre sac poubelle noir exactement le même et qu’il y a quelque chose à l’intérieur. Je l’extrait du premier sac et je l’ouvre également, et je plonge la main dedans, c’est mouillé. Je pense furtivement qu’il devait pleuvoir, lorsque Jérémie a eu son accident, puisque le blouson est mouillé. Mais presque immédiatement je balaie cette idée. S’il pleuvait le pantalon aussi serait mouillé. Je sors ma main, elle est pleine de sang. Puis je la remets dans ce sac interrogative. J’en sors son blouson. La face extérieure est propre mais la face intérieure est pleine de son sang. Je suis sans émotion tellement l’horreur est là. Je suis sans sentiment, sans corps, sans âme sans esprit. Rien qu’un amas indescriptible et informe sans aucune représentation physique possible. On appelle ça la douleur extrême, je crois. Maurin mon second fils entre à ce moment dans le salon, il me regarde agir comme une automate. Il voit tout. Il sent tout. Il me regarde, et plonge dans mes yeux son joli regard vert, si désemparé. Je ne peux rien dire même pas pleurer. J’ausculte à nouveau sous ses yeux, les vêtements de son frère. Nous sommes tous deux sans mots, muets privés de la parole. Puis je referme les sacs non sans y avoir remis les vêtements dans l’ordre ou ils étaient. J’échange un long regard d’une éternité avec mon fils et nous tombons dans les bras l’un de l’autre sous le choc. Nous pleurons tous les deux silencieusement en communion. A ce moment là il n’y a rien,sinon le chagrin,l’incompréhension, et l’idée que pour la fin de nos vies il va nous falloir accepter l’inacceptable. Après avoir retrouvé notre calme, sans rien dire nous rejoignons, dans la cuisine les autres membres de la famille.
Ma sœur, mon neveu, mes autres enfants discutent. Leurs voix sont douces, calmes, quoique empreintes de tristesse. Chacun essaie de s’activer pour tenter de faire quelque chose d’utile pour m’aider, afin de faire face avec dignité, à ce deuil atroce qui nous frappe si violemment. Je n’écoute que d’une oreille, les idées bouillonnent à toutes vitesse dans ma tête. Tout d’abord, il est impossible (comme le journaliste l’a écrit dans le Dauphiné Libéré) que mon fils se soit jeté sous les roues du camion, sinon ses vêtements seraient endommagés. Pourquoi le gendarme que j’ai rencontré le 17 septembre le lendemain de l’accident m’a t il dit que Jérémie s’était jeté sous les roues de ce maudit camion ? Mais en voyant les vêtements de Jérémie , qui n’ont aucune égratignure il est évident qu’il n’a pas été écrasé par le camion. Alors pourquoi n’a t on pas préparé son corps pour que je puisse lui faire mes adieux ? Puisque ses vêtements n’ont pas de dommage, son corps ne devait pas avoir des blessures telles que je ne puisse le voir. Pour moi dès cet instant il y a quelque chose qui cloche, et je décide intérieurement sans en parler à personne de tout faire pour connaître les réelles raisons de tout cela . Accéder à la vérité devient mon objectif principal, alors que Jérémie n’a pas encore rejoint sa dernière demeure. Comment vivre le reste de ma vie sans avoir pu dire au revoir à mon fils ? Comment continuer à vivre sans savoir ce qui s’est passé? Ce fut l’instant précis où j’ai décidé lucidement, de tout savoir. Consacrer toute mon énergie y compris le reste de ma vie s’il le faut pour connaître les raisons obscures, qui ont justifié que je ne puisse voir mon fils et l’embrasser une dernière fois.
Enfin trois semaines après j’avais le dossier médical et une explication avec le médecin qui est allé chercher Jérémie dans le talus au bord de l’aire du Paturel pour constater son décès et transférer mon fils à l’hôpital. J’ai insisté lors de cet entretien pour savoir si des prélèvements d’organes avaient été fait sur Jérémie. Il ne savait pas…. Alors je lui ai demandé s’il pouvait se renseigner et me donner les informations qu’il pourrait avoir. Je lui ai demandé si il avait de graves blessures. Il m’a dit que non, extérieurement… Puis il m’a dit qu’il avait une fracture du crâne sans déplacement osseux. Il était sur le dos, et son visage n’était pas endommagé.
Enfin en janvier 2012, j’ai reçu un SMS de ce médecin qui m’avait reçu octobre 2011 qui me confirmait que des organes avaient été prélevés sur mon gamin. Et là j’ai compris !! l’horreur l’immonde horreur !!! Non seulement je n’ai pas été prévenue en temps et en heure de ce prélèvement, mais en plus contrairement à la loi son corps n’a pas été préparé pour le rendre visible à la famille. On a pillé mon fils, on s’est servi de lui comme dans un supermarché gratuit. On ne lui a pas rendu sa dignité d’homme après sa générosité pour la survie d’autres êtres humains. C’est ignoble pour moi c’est plus que je ne peux en supporter ! L’enfant que j’ai aimé, que j’ai porté, à qui j’ai appris à parler marcher, et à être respectueux des autres, à été dévalisé saccagé. Ma famille et moi avons été privés du droit aux derniers instants de tendresse et de douceur que nous pouvions lui donner. Ces derniers témoignages d’affection nous ont été volés. Pourtant le recueillement fait partie du rituel funéraire dans toute religion, toute tradition,et sur tous les continents. Nous n’avons pas eu cette possibilité. Contre vents et marées, j’irai au bout quoiqu’il m’en coûte mais il faut que de telles pratiques soient dénoncées et punies. Lorsque l’on fait don gratuitement, généreusement, dans les heures qui suivent notre décès, de parties de son corps pour sauver d’autres vies, il y a des contres parties prévues par la loi. Dans le cas de Jérémie elles n’ont pas été respectées. Je ne me serais pas opposée à ce prélèvement, mais j’aurai du être consultée, informée et Jérémie aurait du après le prélèvement être préparé pour nous être rendu visible. Je veux justice, la justice pour Jérémie, pour ma famille et pour moi. Rien de plus rien de moins.
Maintenant revenons au jour où j’ai pris cette décision…
fin du chapitre 1